Amadou Touré

Ebola tue le social

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Des citoyens libériens à la vue d’un cadavre mort d’Ebola

Vendredi dernier, j’avais décidé de me reposer. Je suis resté au lit jusqu’à midi, mon petit laptop à mes côtés, connecté au monde, je me suis difficilement aperçu que je risquais de rater la grande prière du Vendredi. Alors j’ai vite filé dans ma salle de bain  et quelques minutes juste après, me voilà. Véritable relooking, comme me le dirait l’autre. Je suis sapé comme le premier imam de la petite mosquée de mon secteur. Sous un soleil de plomb,  égrenant mon chapelet, je me dirige au lieu de prières où la prêche de l’Imam, de loin déjà, me parvenait.Je n’avais pas un outil pour mesurer la température qu’il fait.  Ah ce soleil. Il donne l’impression d’être envoyé par le Très Haut, pour jauger notre foi. Oui  » jauger  » si l’on craint Lui, Dieu. Sûrement, si c’était le cas, Allah Soubhanna Watahalla connait bien mes intentions. J’ai bravé ce rebelle de soleil et ses rayons  de lasers qui donnent des graines à moudre à mes yeux. Je fais vite mes deux rakats et je prends place, aux cotés de plusieurs fidèles, pas retardataires comme moi. Le sermon de ce vendredi portait sur les principes de l’Islam, ses rites et les croyances. J’ai voué une attention particulière à chaque phrase du Mollah. Au cimetière,  beaucoup de récitations faites par les musulmans, ne devraient pas avoir lieu. L’Imam fait un parallèle entre les pratiques religieuses au temps du Prophète Mahomet et celles d’aujourd’hui, surtout en ce qui concerne l’accompagnement du mort à sa dernière demeure. Des idées ont tournoyé dans ma tête, franchement. Puisqu’il s’agit de mort, on en avait un, et  sur quel cadavre il fallait prier. La Grande prière est finie. Tous les fidèles sont invités à la prière sur le mort.

Avant, surtout que les religieux ne manquent pas d’occasions pour rappeler les bénéfices à tout croyant qui assiste à une telle prière, on voyait du monde. Ce vendredi, j’étais stupéfait de voir que beaucoup de mes coreligionnaires avaient filé à l’Anglaise. J’avais du mal à comprendre. La fièvre Ebola m’est venue illico à l’idée, alors là suis revenu sur terre.

Le monde qu’on avait au niveau de cette mosquée pendant la prière s’est divisée en trois. Le tiers qui est resté est probablement les gens de la famille du défunt. Nous sommes restés, on fuyait ce cadavre, couché pourtant devant nous, inerte. Il n’était pas mort de la fièvre hémorragique à virus Ebola, le monstre qui a décidé de réduire la démographie de l’Ouest africain. Loin s’en faut. Mais on continuait encore à fuir ce cadavre de jeune homme. Pire, ceux qui sont partis l’accompagner aussi au cimetière, étaient moins importants que ceux qui ont priés sur le corps. Des habitudes sociales prennent un véritablement coup en Guinée, à cause de ce virus maudit d’Ebola.  Chez nous, on respecte pourtant les morts et on les accompagne bien.

Face même à une personne inconnue, les poignées de mains étaient fréquentes. En temps d’Ebola,  on ne serre pas n’importe qui. On se donne moins d’accolades de nos jours. J’ai été très gêné lorsqu’une amie m’a refusé, poliment, une poignée de mains, à l’entrée d’une banque.  » Tu ne sais pas qu’il y a Ebola », m’a-t-elle lancé, sourire aux lèvres.  Son argument était solide, j’ai renoncé à ne pas lui faire des reproches.

Le transport public, c’est le dada de mes concitoyens. En temps d’Ebola, ceux qui n’ont pas leurs propres voitures se sentent exposés. A bord d’un taxi de Conakry, la dernière semaine, parlant d’Ebola, une fille, passagère comme moi, semblait éviter le contact des autres passagers. Elle voulait garder la distance. Malheureusement, dans les taxis de Conakry, c’est comme les boites de sardines. Il faut être à quatre, derrière le chauffeur. Des messages de sensibilisation, les vrais qui ne paniquent pas, mais rassurent, sont moins nombreux, à dire vrai.

Un épistémologiste américain, est le premier qui m’a vraiment  » lavé le cerveau » à propos de cette fièvre hémorragique qui a causé plus de 4.000 décès au monde, principalement dans mon pays la Guinée Conakry, au Libéria et en Sierra-Léone voisins. Les statistiques de la Guinée, en date du 11 octobre font état de  1405 cas dont 808 décès…

Dr Kinzer travaille pour CDC Atlanta et avait effectué un séjour de six semaines en Guinée. On lui avait demandé s’il n’avait pas été infecté par ce virus.

Je ne suis pas inquiet. Je n’ai pas de risque de l’attraper, même si j’ai circulé, résidé à Conakry et serré des mains! Ebola est une maladie effrayante mais difficile à attraper. Les personnes qui ont été contaminées ont eu un contact intime avec un malade »a-t-il répondu.


Guinée-Bilan 2013 : Votre politique aura été malsaine !

carte de la guineeOn a l’habitude d’éplucher les actions ou programmes du pouvoir en place, en fin d’année. Citoyens et hommes politiques s’adonnent à coeur joie, à cette entreprise en Guinée, depuis quelques semaines. Mais dans ce billet, singulièrement, je m’interroge sur les agissements des politiciens guinéens en 2013. Je conclus que la politique – politicienne- menée par ceux qui nous dirigent et d’autres qui nous ont déjà  » géré » et veulent reprendre leurs fauteuils, a été malsaine, à bien des égards.

En 2013, plus de 50 Guinéens sont morts dans les rues. Dans les multiples  » marches pacifiques » organisées par l’opposition qui se dit Républicaine. Jusque-là, aucune enquête n’a été ouverte par les Autorités de Conakry pour situer les responsabilités. Mais aussi point de réclamation vigoureuse pour que justice soit faite de la part des gens qui mènent des jeunes désœuvrés et pauvres à l’Abattoir. Ils sont plus prompts à se battre pour leurs intérêts personnels et égoïstes.

Des citoyens qui, sous le soleil ardent de Conakry ou la pluie diluvienne, sont en quête permanente de moyens de subsistance, ont vu leurs boutiques et magasins partir en fumées. La perte a été estimée à des milliards de francs guinéens. Malgré des rapports d’une ong de défense des hommes d’affaires, aucune mesure pour situer encore les responsabilités, frapper les commanditaires de ces destructions de biens et venir en aide aux sinistrés.

Photo manif à Conakry
Photo manif à Conakry

Des blessés, quelques fois des mutilés, qui se comptent par milliers, ont occupé les lits de l’hôpital national Donka.Lui-même malade de sa gestion, dit-on.

Des victimes collatérales, se dénombrent par milliers. Elles ont vu leurs voitures caillassées, incendiées, volées ou leurs motos retirées par des loubards et brigands. Les plus dures à cuir ont déposé des plaintes au près des juridictions ou commissariats les plus proches. Sans être pour autant assurées de retrouver les objets volés. Un autre groupe, le plus important, a  » laissé pour lui à Dieu » !

On a accumulé en 2013 ces injustices, ces frustrations, ces coeurs meurtris que seule la Justice, la vraie, l’impartiale, peut réparer.

Les conséquences désastreuses de la politique politicienne, du marigot politique, auront atteint l’économie du pays. Voyons, ce qui a opposé les  » frères ennemis ».

Au début, Waymark.C’est le nom de l’opérateur chargé de la confection du fichier biométrique électoral, en vue des législatives, plusieurs reportées au courant de l’année qui s’achève. Quant la commission électorale nationale indépendante et le gouvernement manœuvraient pour le maintient de cette compagnie sud-africaine, l’opposition, toutes tendances confondues, au gré du vent et des humeurs, a rejeté  » catégoriquement » Waymark.

Ce bras de fer a découpé en lambeaux, le tissu social. Puisque chez nous, chacun reste encore derrière l’homme politique de sa région naturelle ! Cette parenthèse aura duré  des mois et des mois. Avec son cortège de malheurs et de bisbilles auxquels le citoyen lambda est resté pantois. Les autres conditions d’organisation de ce scrutin crucial, qui devait mettre un terme à  l’ère de la Transition, n’ont jamais fait objet de consensus entre les deux bords politiques en face en Guinée.

La démocratie, son grand atout, c’est l’acceptation de la différence, à mes yeux. Le principe de la contradiction ! Mais en Guinée, ceci a tourné à la mauvaise foi, du moins en 2013. Chaque politique en face, s’est refusé de céder pour l’intérêt des citoyens qu’il soutient défendre. Chacun a cautionné que des jeunes soient sacrifiés sous l’autel de leurs intérêts…inavoués.

Pour résoudre cette crise,préélectorale, afin que le scrutin législatif puisse être organisé enfin le 28 septembre 2013, il a fallu la Communauté internationale !

Le niveau de déficit de confiance entre leaders de l’opposition et membres du gouvernement, élargit au président de la République, Pr Alpha Condé,avait atteint le summum. Jamais la politique des sourds n’a été aussi désastreuse à mes yeux.

La Guinée, dans le peloton des pays les plus pauvres de la planète, a d’énormes défis à relever, chers politiques. Ceux-ci s’appellent : pauvreté, chômage, manque de courant, d’eau potable, de routes, d’écoles, de moyens de transports, de centres de santé, d’ hôpitaux modernes, des ponts, des logements sociaux pour les fonctionnaires, de bonne gouvernance, d’une démocratie saine…

Epargnez-nous de vos guéguerres qui nous font tourner, simplement, à rond. Pour l’année 2014 qui débute dans quelques jours.


Guinée- Hommage : Moctar Bah, Correspondant de RFI, raconte une scène de courage de Ghislaine…

RFI rend hommage à Ghislaine et Claude
RFI rend hommage à Ghislaine et Claude

Samedi dernier, tout le monde entier, principalement celui de la presse, a ressenti comme une secousse, la nouvelle qui a annoncé l’assassinat de nos confrères de la  « radio mondiale »,  RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon m’a laissé pantois.Personnellement, c’est sur Twitter que j’ai appris la nouvelle, en réalité celle du kidnapping de Ghislaine et de Claude. J’ai cru un instant que c’est encore parti pour une, deux semaines, des mois ou des années de détention pour Ghislaine Dupont et Claude Verlon, aussi. Oui, puisque tout simplement, quelques jours avant, l’on avait assisté depuis Niger, à la libération de quatre  otages français, détenus depuis trois ans.

J’ai cru que le même sort allait être réservé également à nos confrères, si courageux de fouler le sol de Kidal, cette ville jugée dangereuse, en dépit du coup de balai de Serval…La vie des « Envoyés spéciaux » de RFI a ainsi  basculé ainsi en quelques minutes. La découverte de leurs corps, sans vie, m’a également été annoncée par les réseaux sociaux, sans que je ne quitte mon siège. Sacrés assassins !

Le journal parlé de la Radio Télévision Guinéenne ( RTG), samedi à 19 heures 45, est l’une des premières  éditions d’informations à ressentir ce coup fait à la liberté de presse. L’élément sur la mort de ces vaillants reporters a suivi illico celui du Président de la République, Pr Alpha Condé, alors en pérégrinations  du côté d’Abu Dhabi au  » compte des travaux préparatoires » d’une conférence économique sur la Guinée prévue du 24 au 25 novembre prochains.

A travers ces quelques minutes du JP de la RTG, Conakry retenait son souffle. Le petit monde de la presse, aussi. Dans les radios privées, sur les réseaux sociaux, les hommes de médias ont condamné cet acte ignoble.

Le Correspondant RFI / AFP à CONAKRY
Le Correspondant RFI / AFP à CONAKRY

Le témoignage du Correspondant local de RFI à Conakry, Moctar Bah, pardon d’El Hadj Moctar Bah est poignant. Ce lundi 5 Octobre, face aux confrères mobilisés à la Maison de la presse de Conakry, il se souvient du  » courage » que certains pourraient qualifier de suicidaire de feue Ghislaie Dupont.

    ‘’ Elle était une journaliste des dossiers, de grands dossiers, des analyses, de grosses analyses. Cette dame est venue en Guinée en 2008 quand à l’époque Claude Pivi s’était autoproclamé porte-parole de l’Armée lors d’une révolte militaire contre le régime du feu général Lansana Conté au Camp Alpha Yaya Diallo. A la recherche de l’information, Ghislaine m’a demandé de l’accompagner au Camp Alpha Yaya pour rencontrer Claude PIVI. Je lui ai fait comprendre que le moment était dangereux pour faire tel travail. Mais elle a insisté. Elle voulait  rencontrer ce Pivi. Soudain, elle a pris seule un taxi pour se rendre au camp Alpha yaya , et arrivée au camp, elle a éteint son téléphone.

Pris de peur, j’ai appelé son numéro pendant plus de 2 heures, elle ne répondait pas. J’ai tout de suite pensé que c’était fini pour elle. Mais au bout de 4 heures, elle m’a rejoint à l’hôtel tout en me disant que Pivi l’a bien reçue et que ce dernier est gentil, humain, extraordinaire. C’est après la diffusion de cette première interview de PIVI par Ghislaine que les journalistes guinéens ont commencé à demander l’audience au Camp Alpha Yaya. Quel courage! » a-t-il confié aux médias.

El Hadj Bah, puisqu’il revient de tout droit de la Mecque, se rappelle également du technicien Verlon.

‘’ J’ai serré sa main dans les couloirs de la RFI à Paris. Il est venu ici à Conakry en 2007 à l’occasion de la découverte RFI. Je l’ai vu au stade à l’occasion du concert de Tiken Jah FaKoly et autres. Mais en ce moment, on n’était pas familiers. Mais retenez que c’était un génie, un technicien talentueux à RFI. »

Le lâche assassinat de ces deux confrères par des islamistes qui se trompent d’adversaires, a marqué la presse guinéenne. Outre des communiqués publiés à cet effet, condamnant cet acte infâme, par des associations de presse, des voix s’élèvent pour l’organisation d’une  » marche silencieuse » pour rendre un vibrant hommage aux disparus.


Guinée : « C’est quoi un blogueur ? » cette question me taraude

Ce texte aurait dû vous parvenir plutôt. Une dizaine de jours avant. En vérité, ce n’est pas ma faute. Mais celle de mon informaticien, un Nord-Coréen qui s’appelle HO, installé depuis quelque temps au cœur de Conakry. Pour une « carte mère » défectueuse de mon mini laptop, m’a-t-il dit, je devais débourser près de 100 euros. Alors que cet appareil m’a coûté à peu près 200 euros il y a deux ans, bientôt.

Alors, j’ai fait  exprès de lui laisser cet ordinateur, la mort dans l’âme, pour quelques jours. Il m’a vraiment manqué, ce petit ordinateur qui me sert de bloc-notes, de lecteur vidéo et audio…Et surtout il reste mon véritable compagnon quand je dois écrire un article de presse. Au fait, mes traces sur cette terre. Constatant que j’avais presque abandonné cet ordi entre ses mains, HO, ce Nord-Coréen qui ne veut pas qu’on l’assimile surtout à un Chinois me rappelle et ensemble, nous fixions les frais de réparation, moins de 50 euros, je vous assure !

Revenons à nos moutons. Même si l’hécatombe pour ces bêtes, je veux bien parler de la fête de Tabaski, n’émeut aucun esprit. A commencer  par les défenseurs des droits des animaux, de par le monde. Parenthèse fermée.

Ziad Maalouf, le gourou qui trône à Mondoblog, m’a envoyé un mail, il y a quelques semaines. La correspondance annonçait ma «  sélection » sur cette  plateforme de blogueurs francophones :

« Nous avons le plaisir de vous informer que vous faites partie de la sélection des blogueurs 2013 de Mondoblog. Nous sommes ravis de vous accueillir parmi nous pour une durée indéterminée » écrit-il.

Ma petite « communauté » sur Facebook, devait apprendre cette bonne nouvelle, me suis-je dit. L’info, balancée sur ma page, bénéficie d’assez de « J’aime », de commentaires, d’encouragements, mais de surprises, également. « C’est quoi blogueur ? » m’interroge un ami. C’est à son intention que l’envie m’a pris, de coucher ces quelques lignes. C’est vrai que l’idée de blog n’est pas assez répandue dans notre société. Les férus du net peuvent se compter sur le bout du doigt,  pourplusieurs personnes. Je vous ferai l’économie de citer toutes ces raisons dans ce texte.

Voyons, l’équipe très dynamique de Mondoblog, dans ses premières correspondances, a bien pris soin de m’expliquer qu’est-ce qu’un blogueur ?

«  C’est celui qui anime son blog alimenté par la mise en ligne d’articles et/ou par l’intégration de contenus proposés par des tiers. Le blogueur est soumis à des obligations juridiques comparables à celles du journaliste du fait de la publication et de la diffusion d’informations sur internet » in Charte des blogueurs sur Mondoblog.

Celui qui m’a connu journaliste, en lisant entre ces lignes ci-dessus, se rendra compte qu’entre journaliste et blogueur, le fossé est très mince.

« Le blogueur doit toujours vérifier la source des informations qu’il cite » ( Charte des blogueurs de Mondoblog). Presque la leçon qu’on enseigne aux journalistes, dans cours d’éthique et de déontologie.

Très facile d’ailleurs pour un homme de médias d’alimenter journellement un blog, en texte, en image, en son …. Si les reportages et autres enquêtes de nos pauvres rédactions ne nous collent pas toute la journée !

Si la Guinée compte moins de blogueurs aussi connus que Sow Alimou (meilleur blogueur francophone 2013) grâce à Mondoblog, force est de reconnaître qu’ils ne sont pas pour le moment très  accablés par les autorités. Mais sous d’autres cieux, en Afrique, pour ne pas aller loin, le cas du blogueur tchadien démontre à n’en pas douter que l’exercice de ce «  métier » pourrait se révéler dangereux. Makaila Nguebla, blogueur tchadien et militant des droits de l’homme, s’est vu presque dans les fers du Tchad à Dakar, en passant par Tunis. Dans la nuit du 7 au 8 mai 2013, il a été expulsé de Dakar pour Conakry. Depuis 2005, jamais il n’a pu décrocher le statut de réfugié politique au Sénégal.  Il affirmait vivre  « dans une prison sans barreaux » à Jeune Afrique.

L’un dans l’autre, animé d’intentions réelles pour son pays et ses compatriotes, en termes de respect des libertés individuelles, des droits de l’homme et la démocratie, le blogueur africain – engagé- peut être facilement assimilé à un opposant.


Guinée : Policiers crasseux sur la route, spécialistes du racket…

Une scène insolite dans les rues de Conakry
Une scène insolite dans les rues de Conakry

Avant, j’avoue que j’avais une peur bleue à la rencontre d’un homme en tenue. Je sentais mon cœur battre la chamade, chaque fois d’ailleurs, que j’avais eu affaire  à un policier, un gendarme…Désormais, je suis entrain de me rendre à l’évidence que les masques de ces agents tombent.

Et certainement, sur les routes de Conakry surtout, j’ose croire que je ne suis pas le seul. Les agents de la police routière, «  déployés » à tous les grands carrefours, pour réguler la circulation, sont vraiment très mal habillés. L’habit ne fait pas le moine, me rétorquerait-on, surement. Mais si vous suivez mon regard, vous me donnerez certainement raison.

Il était 10 heures, lundi dernier quand j’ai pris le volant de ma voiture, après une émission de débat à la radio Sabari Fm, à Nongo,  en banlieue de Conakry. J’exultais, au fond de moi, car j’avais le sentiment d’avoir accompli un devoir de citoyen. Cette joie fut stoppée  quelques minutes. Deux policiers de «  la routière », sans siffler, se pointent devant la voiture et m’intiment de garer. Ce que je fais. Un sentiment de révolte intérieure s’empare illico de moi. Je pose la question de savoir l’infraction que j’ai bien pu commettre. Un des policiers qui s’est approché de la voiture, ne veut pas comprendre, il veut que je lui donne toutes les pièces. Je relève la tête pour fixer dans les yeux le policier en question.

La première chose que j’aperçois, aussi facilement, c’est cette chemise chiffonnée et sale de couleur bleu ciel. Mon regard ne s’arrête pas là. Je revois le pantalon, la ceinture, le béret et la paire de souliers aussi crasseux que la chemise. L’agent me parlait, mais je ne l’écoutais plus vraiment. Je commence à douter qu’il soit un vrai policier de la routière. Aussitôt je me rends compte qu’il ne portait aucun badge, qui pouvait bien l’identifier. Alors je n’ai plus cette crainte.

Un officier de la police routière me confia un jour que les vrais agents de la routière se reconnaissent par leurs badges qui portent des numéros. J’ai signalé à l’agent qui, visiblement, se demandait ce qui se passe bien dans ma tête, que je suis journaliste. L’homme a sursauté. La peur a changé de camp, ai-je pensé. Il ne voulait laisser transparaitre cette peur mais il a vraiment reculé et douté.

En Guinée, qu’il soit issu des forces de sécurité ou de défense, l’agent en tenue évite les journalistes. On nous reproche à chaque occasion d’avoir la propension à dire tout dans les radios ou écrire dans les journaux. Alors, il faut mettre «  la presse » à distance sinon elle sera sur ton dos, analysent-ils.

Corruptions  quotidiennes

Une manière d'arrêter un minibus
Une manière d’arrêter un minibus

Les querelles quotidiennes, que j’observe sur les routes, entre chauffeurs de taxis et policiers, trouvent là une explication. Ces «  bénévoles » qui pullulent dans la capitale, crasseux devant l’éternel, quémandeurs de billets de banques, font la honte de la police guinéenne.  Qui a dit corruptions quotidiennes ? De toute façon leur disposition à «  contrôler » et à demander «  le prix de l’eau », offre souvent des scènes insolites. Une image qui circule sur le net en dit long d’ailleurs sur les agissements de ces curieux policiers sur la route. Un pied plongé dans le taxi, côté chauffeur, et l’autre sur la terre ferme. Cette image fait le tour du web guinéen !

La semaine dernière, le ministre de la Sécurité, Madifing Diané a martelé devant la presse que tout policier pris en flagrant délit de rançonner un conducteur, passerait devant le conseil de discipline. Ce disque n’est pas nouveau, il a été déjà entendu. Mais les actes, difficile de les appliquer.

Dans cet autre grand corps malade des forces de sécurité, un besoin d’assainissement s’impose.  Histoire de mettre à côté, des routes, ces curieux policiers  spécialistes du racket.


Matoto, la hantise d’une débâcle électorale

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Les membres de la centralisation de Matoto pouvaient travailler jusqu’à 5 heures du matin. Photo : MOE UE 2013

Le 28 septembre dernier, les Guinéens avaient rendez-vous avec les urnes, en vue des législatives. Si dans 37 circonscriptions électorales, les résultats provisoires sont aujourd’hui  connus- même contestés-, il y a lieu de noter que la peur qui s’empare du parti au pouvoir RPG Arc-en-ciel et l’opposition empêche le décompte des voix à Matoto. Matoto reste  un baobab à forte potentialité de voix sur lequel chaque camp politique s’agrippe, dans la crainte d’une chute fatale.

Bientôt trois semaines après la sortie des urnes, rien ne justifie le retard accusé par la commission électorale nationale ( CENI) dans la publication des résultats provisoires de ce scrutin législatif.

Matoto, 440000 électeurs, 800 bureaux de vote et 1600 procès-verbaux à traiter et  à comptabiliser, est devenu le nerf de la bataille postélectorale  en Guinée. La hantise d’un échec dans la plus grande circonscription électorale du pays est perceptible. L’opposition guinéenne, tout comme le parti au pouvoir, s’impatiente.

Conakry, la capitale guinéenne,  compte cinq communes dont la plus grande est Matoto. Les résultats provisoires des législatives du 28 septembre 2013, publiés déjà par la CENI, font état de la victoire de l’opposition dans les quatre communes. La débâcle dans la plus grande commune, selon les plus critiques dans l’opposition, est le fantôme qui hante les nuits du Pouvoir de Conakry.

De l’autre côté, un membre influent de l’UFR ( Union des forces républicaines) de l’opposant Sydia Touré, en l’occurrence Babara Fofana, avait été accusé d’avoir  » falsifié » des résultats à la centralisation de Matoto. Puis c’est le président même de la commission de centralisation des votes, magistrat de profession, qui a été qualifié de tricheur par le parti au pouvoir.

Bref, la situation dans la commission chargée de procéder aux décomptes des voix dans cette commune faisait un pas devant et deux en arrière. Difficile pour les citoyens de démêler l’écheveau.

Les Guinéens, dans l’ensemble qui ont grand besoin de psychologues, à cause des stress liés à la crise politique perpétuelle depuis 2010, s’impatientent. Ils s’attendaient, à un énième bras de fer entre le pouvoir et l’opposition, mais pas autour d’une simple circonscription électorale.

La voie vers un contentieux électoral avait été d’ailleurs tracée par l’opposition, quelques heures seulement après la fermeture des bureaux de vote, le 28 septembre dernier. Plus de deux semaines dans l’attente des résultats, qu’est ce qui pourrait empêcher un nouveau blocage politique à partir du moment où l’opposition exige  » l’annulation pure et simple » de ces législatives, attendues depuis trois ans.